NZ 14 : En vacance(s)

Aussi étonnant que ça puisse paraître, Nelson est situé plus au nord que Wellington. Regardez une carte du pays et vous verrez que l’Île du Sud remonte à l’ouest, ce qui place ce petit bled légèrement plus « haut » que la capitale.

Bien que pratiquement sur la même latitude, le climat des deux villes n’a rien à voir. Nelson est située dans la région la plus ensoleillée de Nouvelle-Zélande, et ce principalement grâce à la chaîne de montagnes, les Alpes du Sud (je précise, au cas où vous seriez VRAIMENT très nuls en géographie, que non, ce ne sont pas les mêmes Alpes qu’en France), qui traverse l’île du nord au sud et lui procure une remarquable protection contre les précipitations et les dépressions venues du large. En revanche, si vous passez sur la côte ouest, vous risquez de devoir fréquemment sortir les parapluies.

Nelson

Nelson est donc notre prochaine étape. On a bien pris en note quelques noms d’auberges, mais rien n’est décidé quant à l’endroit où nous allons demeurer. Le bus nous dépose dans l’après-midi, et à peine descendus, quelqu’un nous accoste. Un jeune gars à l’air détendu, 26 ans, nous dit qu’il vient d’ouvrir son auberge de jeunesse, et que c’est, je cite, la meilleure de Nelson. Bon, qu’est-ce qu’on a à perdre à aller jeter un œil, on verra bien si l’endroit est aussi formidable qu’il le prétend. On embarque dans le véhicule du type et après une folle traversée de la ville qui n’a pas dû durer plus de cinq minutes, nous voilà donc dans la place.
Force est de reconnaître que la légende dit vrai : je n’ai pas posé un orteil dans un autre backpacker de Nelson mais il faut bien avouer que celui-ci a de sérieux arguments à faire valoir. D’abord, l’endroit est petit pour une auberge de jeunesse, ce n’est pas une ruche grouillante de voyageurs en transits qui jouent des coudes entre le frigo et les plaques chauffantes. Il s’agit d’une maison de deux étages, cinq chambres au rez-de-chaussée, trois au premier, avec un maximum de quatre lits par chambre. Et oui, ce sont de vrais lits, pas de lits superposés qui poussent des grincements de mécontentement au moindre mouvement. Toutes les chambres ont leur propre salle de bain. Internet est gratuit, ainsi que l’usage de la machine à laver, thé et café en libre service dans la cuisine. Tout est impeccable de propreté, joliment décoré. Au centre de la salle commune trône une grande table unique, et l’autre moitié de la pièce est le coin télé cerné de grands canapés. La transition avec notre résidence de Picton ne risque pas d’être des plus douloureuses, on est là encore plus proche du petit hôtel que de l’auberge de jeunesse.
Mais le meilleur est à l’extérieur. Deux terrasses, une petite à l’arrière, une un peu plus spacieuse à l’avant avec un barbecue, une table et une dizaine de chaises et fauteuils disparates. Cette terrasse se prolonge sur un petit parking privé où trône un panneau de basket. La maison est adossée à une grande colline couverte de végétation, où serpente un sentier qui rejoint l’auberge. Le voilà, l’atout numéro un de l’endroit : la colline appartient au proprio.
La première ascension est plutôt impressionnante, je n’imaginais pas pouvoir faire une promenade en pleine nature au cœur de la ville (certes, ville de Nouvelle-Zélande, tout est relatif, mais quand même), et ce sans quitter l’auberge. Des tables, des bancs, des fauteuils et même un hamac ont été semés sur le parcours pour qui veut s’arrêter un moment pour faire une pause ou pour simplement apprécier le panorama. Depuis le sommet, on peut observer le port et les aléas de la mer qui couvre la plage ou abandonne quelques bateaux sur le sable, au gré des marées. La ville s’agite calmement en contrebas, profitant d’un printemps qui sent déjà l’été.

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Il ne nous a pas fallu beaucoup de temps pour que nous décidions de rester quelques jours ici. Et avant d’avoir eu le temps d’en prendre pleinement conscience, les quelques jours sont devenus quelques semaines. Au-delà des arguments indéniables de l’endroit, c’est l’ambiance générale qui a définitivement emporté notre adhésion. Le proprio a retapé l’endroit avec une petite bande de potes, et cette auberge est aussi sa maison. Les potes en question y habitent aussi par intermittence, entourés d’une poignée de voyageurs de passage qui, dans leur majorité, ont comme nous oublié de passer. Il en résulte une ambiance formidable, et très vite s’installe la sensation d’habiter une grande maison avec des amis de longue date. Régulièrement, on se retrouve tous ensemble autour de la grande table du salon pour partager un dîner, se marrer, jouer à des jeux idiots, discuter jusque tard dans la nuit.
A l’exception d’un gars Franco-Kiwi, bilingue, et de Michaël, je suis le seul à parler français, ce qui limite fortement, et ce n’est pas pour me déplaire, l’usage de la langue de Molière. Quand nous sommes tous les trois il nous arrive souvent de continuer à parler anglais, par habitude. Argentine, Chili, Canada, Italie, Suisse, Angleterre, Belgique, France, Allemagne, Inde, Australie, Nouvelle-Zélande : il y a régulièrement une jolie palette de nationalités autour de la table et il est toujours agréable de constater qu’être né sur coin du globe ou sur un autre est finalement très secondaire et ne définit pas a priori les affinités des uns et des autres.

Le soleil reste accroché presque tous les jours au dessus de Nelson ; et la sensation d’être en vacances se fait de plus en plus prégnante. Michael et moi échappons quelques jours à l’orbite tentatrice du coin pour quatre jours de randonnée. La météo semble hésitante les jours précédant notre excursion mais une nouvelle fois, nous sommes plutôt vernis et un grand ciel bleu nous accompagnera la plupart du temps. Notre périple dans le Marlborough Sounds était magnifique, mais l’Abel Tasman Coast Track, classée comme l’une des plus belles randonnées du pays, tient ses promesses et me laisse absolument stupéfait. Les paysages y sont très différents, le parcours d’une grosse cinquantaine de kilomètres se déroule essentiellement en bord de mer, plusieurs passages ne pouvant même se franchir qu’à marée basse. Pas encore trop fréquentée à cette période de l’année (nous sommes mi-octobre, l’été n’arrive officiellement qu’en décembre), la piste alterne entre les passages de forêt et d’interminables plages aux sables jaunes orangés nées des roches granitiques de la région. Un peu plus au nord se trouve Golden Bay, la baie dorée : ce nom prend tout son sens quand vous foulez ces immenses bandes de soleil, encadrées de part et d’autre par le chaos vert des arbres et le paisible murmure bleu de l’océan.
Une fois encore, je laisserai les photos ci-dessous parler pour moi et donner un aperçu de la splendeur de ces immensités de pure nature, même si l’image ne retranscrira que partiellement cette impression qui souvent prédomine de se trouver seul au monde, insignifiante particule dépossédée de tout lien avec la civilisation.

Abel Tasman Coast Track

Abel Tasman Coast Track

Abel Tasman Coast Track

Abel Tasman Coast Track

Nous effectuerons un autre petit périple quelques jours plus tard : la maison des parents du Franco-Kiwi est perdue dans le Marlborough Sounds, et il nous fait le plaisir de nous convier à y passer quelques jours. Au bout de quelques heures et d’une route qui devient de moins en moins carrossable, nous aboutissons sur un hameau de quelques habitations éparses en bord de mer. Un port de pêche minuscule sert principalement au commerce des moules et constitue la principale activité pour la poignée d’âmes qui réside ici en permanence. Nous sommes côte ouest des Sounds, à l’opposé de Picton et de la Queen Charlotte Track, mais les paysages sont semblables. Sur une petite barque à moteur, notre hôte nous emmène pêcher. Une superbe matinée au ras de l’eau, dans ce décor dont on mesure davantage la majesté en se trouvant ainsi à ses pieds. Entre deux marées, l’onde est presque immobile, et le temps semble suspendu.

Marlborough Sounds

La pêche a souvent consisté pour moi à attacher un fil et un hameçon à un bambou et à laisser le bouchon flotter pendant des heures pendant que je fais autre chose ou que je confie ma canne à quelqu’un de plus attentionné. Mais je dois bien reconnaître qu’ici, dans ce cadre de rêve, c’était une expérience beaucoup plus prenante. Nous sortons quelques poissons de l’eau, même moi qui manie véritablement pour la première fois une canne à pêche à moulinet. Certaines espèces ne pouvant être pêchées que lors de périodes de l’année bien définies, nous ne ramenons qu’un seul malchanceux que nous dégusterons le soir-même parmi les six ou sept prises de la demi-journée. Lors de l’excursion, nous espérions apercevoir des dauphins qui s’aventurent parfois dans les environs, à défaut, nous avons aperçu un manchot pygmée, la plus petite espèce de pingouin au monde, qui s’est montré à quelques mètres de la barque. En revenant vers le port, nous soulevons quelques bouées pour voir s’il n’y aurait pas des moules accrochées à l’ancrage, mais la dernière tempête semble les avoir arrachées. Une fois à terre, nous longeons donc les quais plus abrités, et en quelques minutes nous remplissons deux seaux de moules, une espèce néo-zélandaise avec un liseré vert sur la coquille et qui fait dans les dix à quinze centimètres de long (et parfois même beaucoup plus). Repas mémorable pour tout le monde à l’auberge de jeunesse le lendemain.

Mussels

La vie s’écoule tranquillement, il y a toujours quelque chose à faire, sans qu’on soit pour autant forcé de faire quelque chose. J’ai pour le moment abandonné l’idée de m’acheter des tongs et j’adopte régulièrement le mode de vie kiwi : se balader pieds nus. Si vous regardez les mômes qui vont à l’école, vous serez sans doute surpris, comme moi au début, de voir beaucoup d’entre eux sans chaussures. Après un temps d’adaptation plantaire et passé la barrière psychologique (Je suis dans la rue sans chaussures ! Je suis au supermarché sans chaussures!), c’est plutôt pratique et agréable.
Les journées passent à la fois vite et lentement. Matchs de foot ou de frisbee au parc. Balades sur la plage. Lecture sur la terrasse. Soirées barbecues. Soirées beerpong, ce jeu d’adresse et d’alcool très populaire aux États-Unis où il faut envoyer une balle de ping-pong dans les gobelets de l’équipe adverse, qui devra alors boire le contenu dudit gobelet (devient de plus en plus technique après quelques matchs). Soirées jeux de cartes, poker. Soirées en ville. Soirée télé, celles qui sautent le plus souvent, soit parce qu’il fait trop beau pour rester à l’intérieur, soit parce qu’il n’est jamais évident de trouver un film qui intéresse tout le monde. Soirées spéciales pour les anniversaires, pour Halloween. Concours de la plus belle moustache pour Movember, cette pratique qui veut que les hommes laissent se développer leur pilosité au dessus de la lèvre supérieure pendant l’intégralité du mois de novembre (pour info, ce fut assez désagréable, plutôt ridicule mais assez marrant), couplée d’une expédition « moustachage » dans Nelson, pour décorer les panneaux publicitaires et autres affiches d’élégantes moustaches qui rendent les choses beaucoup moins monotones. Feux d’artifices dans le jardin le 5 novembre, selon la tradition anglaise qui célèbre l’attentat raté de Guy Fawkes. Et surtout soirées sans rien de prévu et qui finissent quand même à pas d’heure, à refaire le monde autour d’un verre.

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Les conséquences de ce rythme de vie sportif sont doubles : tragiques pour le compte en banque, fabuleuses grâce aux bons moments passés ensemble. Après plus d’une demi année passée loin de la famille et des amis, dans un périple plein de rencontres mais qui souvent ne durent que quelques heures, quelques jours, au mieux quelques semaines, retrouver ici un endroit où l’on se sent comme chez soi sans la lassitude du quotidien est franchement agréable.

Je laisse filer le temps. Tout est plus tranquille, tout est plus normal aussi. La notion de voyage s’efface un peu, je ne sais pas trop si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Dans la journée, chacun vaque à ses occupations, occupations qui n’occupent d’ailleurs que modérément. Vacances, vacance. Ce n’aura sans doute pas été la période la plus productive de mon existence, mais sans doute pas non plus la plus déplaisante.

Abel Tasman Coast Track