NZ 13 : Au pays des merveilles

Picton rime avec Wellington de l’autre côté du détroit. Beaucoup plus petite en superficie, elle fait néanmoins écho à la capitale par sa situation géographique. Elle aussi entravée dans son expansion par les hautes collines végétales qui l’entourent, elle trouve sa liberté dans l’océan, car elle est la porte d’entrée et de sortie quasi incontournable de l’Île du Sud.

Picton

Le bateau sur lequel j’ai embarqué a pris beaucoup de retard pour une raison que j’ignore. La nuit est tombée sur la petite ville quand je pose pied à terre. Je n’ai rien réservé nulle part, ce qui ne me tracasse pas plus que ça. La première auberge de jeunesse croisée me donne raison : bien sûr qu’il y a une chambre disponible.

Quelques paroles en français entendues alors que j’avale quelque chose dans la salle commune font une amorce de discussion déjà bien rodée : « Français ? Non, Belge. ». Ah, tiens, perdu. C’est pas souvent. Une fois n’est pas coutume, nous allons appeler notre interlocuteur par son prénom, parce qu’il se trouve que nous allons être amenés à faire un bout de route ensemble. Parenthèse : habituellement, je ne parle de mon site à personne en Nouvelle-Zélande, et je ne donne aucun nom ou lieu précis, principalement afin de me sentir toujours libre dans ce que je voudrais dire, et qu’en retour personne ne puisse s’identifier ou reconnaître qui que ce soit. Mais bon, j’ai fait une exception ici. C’est peut-être de toute façon prendre beaucoup de précautions pour un si petit site dans le grand bain de l’Internet. Bref, tout ça pour dire qu’il s’appelle Michael, et qu’on va plutôt bien s’entendre, lui et moi.

J’ai véritablement découvert la ville le lendemain. Je ne m’attendais pas à apprécier Picton, qui pour moi allait être constituée de quatre maisons, trois magasins et deux rues. En fait, il y a cinq baraques, quatre boutiques, trois rues et cinquante-trois hôtels, auberges de jeunesse, b&b, motels, tout un panel d’hébergements pour tous ceux qui transitent entre le sud et le nord et qui souvent ne font qu’une halte d’une nuit dans le coin, avant ou après le voyage en ferry. La plupart des commerces de la ville sont centrés sur la rue principale qui aboutit sur le port, et il n’y a pas grand chose ailleurs. Et pourtant, Picton est un coin plutôt agréable quand on le découvre ainsi, sous le soleil qui commence de plus en plus à s’imposer à cette période de l’année, et dominée par les collines aux alentours. Nous sommes aux portes des Marlborough Sounds, cette zone géographique singulière faite de vallées submergées il y a des millénaires par l’océan, laissant un labyrinthe sinueux de vert et de bleu.

Queen Charlotte Track, Marlborough Sounds

Comme je le disais plus haut, peu de monde demeure à Picton pour plus d’une journée. Moi-même, je n’avais pas au départ l’intention de m’éterniser. J’avais eu une piste de wwoofing intéressante pour travailler dans un hébergement dans un coin paumé des Sounds, où le seul moyen d’accès était de prendre le bateau puis de marcher une journée complète avec mon sac à dos plein à craquer. Ça aurait pu être à la fois une excellente aventure et un challenge un poil risqué : j’étais partant. Malheureusement, après quelques échanges de mails il s’est avéré que l’endroit était complet, pas possible pour moi d’entreprendre le périple. Dommage, et me voilà arrivé ici avec cette envie de changer d’air, dans l’attente d’autre chose sans trop savoir où le chercher. Pour autant, ça ne m’inquiète pas outre mesure, je sais que l’inattendu du voyage m’apportera de lui-même des réponses.

Assez vite, je réalise que je ne suis pas tombé dans la pire auberge de jeunesse du monde. La proprio a la soixantaine et est absolument adorable. Toujours prête à rendre service, souriante, aimable, le type de personne à qui on a envie de dire merci tous les trois mots. Le petit-déj est offert, le wifi est gratuit, les salles de bains tout comme les chambres sont impeccables de propreté, il y a un jeu de fléchettes et une table de billard (concave, mais ça nous a pas empêché de faire un bon paquet de parties), un salon avec des gros fauteuils et canapés, une cuisine bien équipée, des chaises longues dans le jardin et même un spa en libre accès que je n’ai pas eu la curiosité de tester. Ça pourrait être pire.

Après quelques jours, Michael me parle de son envie de faire la Queen Charlotte Track, une randonnée de 71km à travers le Marlborough Sounds. Il a une tente pour deux personnes et me propose de l’accompagner. L’occasion est trop belle, d’autant que l’idée me trottait dans la tête depuis l’impossibilité du wwoof dans la région. Si le problème de la tente est résolu, je n’ai ni duvet, ni matelas. La proprio propose de m’en prêter un : adorable, j’vous dis. Et pour le matelas, je prends le risque de faire sans et éventuellement de m’en mordre les doigts (et d’avoir le dos en compote).

Queen Charlotte Track, Marlborough Sounds3

La randonnée peut se faire en trois jours, Michael estime que c’est mieux de prendre une journée supplémentaire pour parcourir le sentier sans avoir à se presser et ainsi profiter d’un coucher et d’un lever de soleil depuis le sommet d’une colline. Il est à noter cependant que faire la randonnée en trois jours a un avantage dont nous ne pourrons bénéficier que partiellement : le bateau-taxi qui dépose les randonneurs au début de la piste peut chaque jour transporter vos bagages et les déposer au prochain camping situé en bord de mer. Ainsi, on peut récupérer son équipement tous les soirs et le laisser tous les matins sans se soucier d’avoir à trimbaler un sac sur son dos. En passant la seconde nuit sur les hauteurs, nous devrons porter nos sacs les 2 et 3e jours.

Mais bon, j’approuve pour les quatre jours, primo parce que ça me semble une bonne idée, secundo parce que j’y connais que dalle, moi, en rando : je n’ai qu’une très vague idée de mes capacités physiques, et pour 71 bornes je dis pas non à une journée en plus, même si ça demande d’avoir un bon gros sac sur le dos pendant deux jours.

La bonne nouvelle, c’est qu’on peut laisser à l’auberge de jeunesse une bonne partie de notre matos. Inutile de s’encombrer avec des kilos de fringues supplémentaires quand on sait qu’il va falloir transporter tout l’équipement nécessaire sur son dos.

Nous avons choisi de faire la randonnée en partant du nord et de redescendre en direction de Picton. Reste à trouver le bon moment pour partir. Si le printemps s’installe, il reste difficile de savoir avec certitude, dans ce pays où la météo change si vite, quel temps il fera sur les quatre jours en question. On scrute les prévisions plusieurs fois par jours, en espérant trouver la fenêtre la plus favorable. Et puis finalement, on se décide, on prie pour éviter un très pénible et frustrant périple sous des trombes d’eau, et on se lance. Le ciel fut avec nous, puisqu’à l’exception du premier jour un peu couvert, le soleil a été de la partie.

DSC04901

Je vais vous épargner le détail de la randonnée mais en résumé, le concept tient dans le fait qu’il faut mettre un pied devant l’autre, et ce plusieurs fois. Je suis particulièrement heureux d’avoir acheté des nouvelles chaussures de marche avant de quitter Wellington, car même si elle sont encore un peu trop neuves et pas suffisamment faites à mon pied, j’apprécie de ne plus prendre l’eau de partout en traversant trois touffes d’herbe humides. On m’a même dit qu’elles étaient bulletproof lors de l’achat, probable mesure de sécurité pour ceux qui aiment se tirer une balle dans le pied.

J’ai plutôt bien supporté l’enchaînement des kilomètres, mais dire que ça n’a été qu’une partie de plaisir serait mentir. La seconde journée fut la plus difficile, elle était la deuxième plus longue étape et on devait de surcroît porter les sacs sur un terrain relativement escarpé : je crois que Michael comme moi étions franchement satisfaits de voir le panneau du camping. Il y a régulièrement des endroits où remplir nos bouteilles d’eau, et on fait des pauses un peu quand on veut ; on ne passe pas non plus trois heures allongés dans l’herbe, mais quatre journées n’étaient pas de trop pour pouvoir réellement profiter des paysages traversés.

Waterfall

Comme je m’en doutais un peu, dormir dans la tente sans matelas n’a pas été le summum du confort. Mais avec la fatigue des journées de marche dans les jambes, le sommeil n’est pas difficile à trouver.

On croise quelques animaux sur le parcours. Des oiseaux principalement, les plus mémorables étant sans doute les wekas, ces drôles de grosses poules brunes pas foutues de s’arracher du sol. La première rencontre fut saisissante : mon dieu, un animal exotique, on a une chance inouïe !!! Au bout du cinquième croisé en une journée, l’exceptionnelle rencontre avec une bestiole rarissime perd un peu en crédibilité. Ils sont très peu farouches, probablement habitués aux randonneurs venant leur filer deux ou trois trucs à manger. L’un d’eux est même venu picorer des petits bouts de pain directement dans ma main, c’était assez fascinant d’observer de si près cet animal dont j’ignorais jusqu’à l’existence quelques instants auparavant. Quand, un matin, il a fallu courir après l’un d’eux qui avait chopé le sac plastique qui nous servait de poubelle, j’ai trouvé l’expérience un peu moins fabuleuse.

Weka

Pour le reste, ça se passe de commentaires, je vais laisser quelques-unes des trop nombreuses photos prises sur le parcours parler pour moi :

Queen Charlotte Track, Marlborough Sounds

Queen Charlotte Track, Marlborough Sounds

Queen Charlotte Track, Marlborough Sounds

Queen Charlotte Track, Marlborough Sounds

Je n’étais pas fâché de voir le panneau indiquant le dernier kilomètre du parcours. Mais malgré la fatigue, j’étais absolument ravi d’avoir entrepris l’aventure. Il est par moments difficile de prendre pleinement la mesure de la beauté qui vous environne, car à chaque instant un paysage merveilleux se dessine sous vos yeux. Il faut savoir s’arrêter pour percevoir l’immensité, pour observer les formes et les couleurs des paysages, les ombres des nuages qui passent sur l’eau et les arbres. La lumière change au fur et à mesure de la journée, les ambiances évoluent quand le ciel se couvre. Les levers et couchers de soleil, que nous avons essayé de manquer le moins possible, sont particulièrement saisissants. Quand il vient à disparaître à l’horizon, l’impression de chaleur relative se dissipe instantanément, et quand l’ombre tombe sur nous on frissonne aussitôt. En revanche, quand, mal réveillés, grelottant dans la fraîcheur des premières heures du matin, ses rayons percent et viennent glisser sur les collines jusqu’à nous recouvrir, c’est meilleure motivation du monde pour reprendre la route.

High-speed vehicle

Dans le bateau-taxi qui nous ramène à Picton à la fin de la randonnée, je pique du nez. J’aurais bien échangé avec le très sympathique conducteur, mais j’ai du mal à me concentrer sur quoi que ce soit. Je suis bercé par la houle et le bruit du moteur, après quatre jours de marche et trois nuits un poil spartiates, je ne suis pas trop tatillon sur la qualité de la berceuse. On rêve d’une douche, et d’un bon lit, surtout. Michael me fait très pertinemment remarquer que les chambres avec des lits jumeaux ne coûtent que quelques dollars de plus que les dortoirs, et qu’après tous ces efforts ça pourrait être une bonne idée d’avoir un lit à soi plutôt que des lits superposés dans une chambre où l’on manque de place. Je vote très vite en faveur de cette proposition. On l’a bien mérité. Mais à l’arrivée, l’auberge s’est bien remplie, et il n’y a pas autre chose de libre que les dortoirs. Tant pis pour nos désirs de confort. À moins que… La proprio tapote sur son ordi pendant que nous tapons la causette avec un gars dans l’entrée. Elle m’appelle en faisant un petit signe de la main : « Rendez-moi vos clés… Attendez… voilà… prenez celles-ci. Cadeau. » Sur les nouvelles clés, deux numéros différents : nous avons chacun notre chambre. Avec un lit double. « J’ai personne en ce moment, alors bon, profitez ». On balbutie des remerciements, incrédules. Quand je vous disais qu’elle était formidable, cette femme. Ce soir là, j’aurais voulu rester éveillé pour profiter au maximum des draps propres et du confort du matelas, mais j’ai sombré rapidement, un sourire perdu au coin des lèvres.

Il s’est rapidement avéré que j’allais avoir d’autres nuits pour savourer mon lit dans tous les sens. Pas trop certains de savoir jusqu’à quand notre situation privilégiée allait durer, nous sommes retournés voir la propriétaire le lendemain pour lui demander s’il fallait qu’on change de chambre : « Oh non, vous pouvez rester là un moment, pour l’instant j’ai personne pour occuper les chambres privatives. »
Un autel fut érigé en l’honneur de cette sainte femme.

Une semaine après notre retour de la randonnée, Michael et moi avons quitté non sans regrets Picton et sa petite auberge fabuleuse. Direction Nelson, autre petite ville de l’Île du Sud, qui allait nous réserver d’autres belles surprises.