NZ 12 : Wellington
Wellington. Une si petite ville pour capitale, c’est assez curieux, inhabituel. Je n’avais pas vraiment de plan en tête sur ce que j’allais faire ici. J’avais dans l’idée de retrouver des potes dans quelques jours, mais suite aux hasards et circonstances de nos voyages respectifs, nos routes n’ont finalement fait que se croiser sans se joindre. Personnellement, je voulais prendre le temps de découvrir la ville, faire autre chose que du wwoofing.
À mon arrivée, j’ai passé deux jours dans une auberge de jeunesse que je pensais sympathique. Bof, en fin de compte, l’endroit, à l’ambiance clean et froide, tenait beaucoup plus de l’hôtel que du backpacker. Seul le rez-de-chaussée et la salle commune donnait une vague impression de convivialité. J’ai fait mes valises et me suis mis en quête d’un autre endroit où me sentir un peu plus chez moi pour quelques temps. Les deux Françaises rencontrées à la brasserie de Taranaki m’en avaient conseillé un : en avant. Hasard improbable, je croise dans la rue l’Américaine avec qui j’avais également passé quelques temps à la brasserie. Elle rentre aux États-Unis dans deux jours. Je lui dis où je me rends, elle me réponds qu’elle connaît, mais va plutôt dans celui-là, il est vachement mieux. Elle est suffisamment convaincante pour que finalement je fasse demi-tour pour me rendre à l’autre bout de la ville, ce qui, dans cette mégalopole tentaculaire, a bien dû me prendre dix minutes.
Effectivement, il est vachement mieux. Perché sur une butte, décoré de peintures multicolores un peu écaillées, il m’est déjà éminemment sympathique avant même d’en avoir franchi la porte. L’intérieur est à la hauteur. C’est un peu moins propre, un peu moins rangé : les signes salutaires qu’il y a effectivement des gens qui vivent ici. Assez vite, je fais partie de ces gens, et cette auberge deviendra ma maison pour une durée qui s’étendra finalement jusqu’à trois semaines.
Très vite, j’ai aimé Wellington, la petitesse de cette ville, lovée dans une vallée entre deux bandes de collines à l’est et à l’ouest, et le terrible détroit de Cook au sud, l’un des plus sauvages et redoutés du globe.
Un jour, après une journée plutôt morne, je suis sorti, je me suis dirigé vers le port. Il n’était pas très tard, neuf heures du soir peut-être. Ce soir là, le vent était presque complètement tombé, fait rare à Wellington. Le port était quasi désert. La mer reflétait le noir du ciel, et les étoiles qui s’y dessinaient étaient les lumières des bâtiments environnants. L’air sentait l’océan et dans la ville qui s’endormait j’ai ressenti quelque chose que je n’avais plus perçu depuis que j’avais quitté la France. Cette ville respirait et vivait, contrairement à toutes celles, grandes et surtout petites, traversées jusque là. Dans cette nuit près du port, dans les clapotis de la houle, j’ai perçu l’âme du lieu.
Auckland n’a pas d’âme, cette ville grouille mais n’a pas d’existence en temps que telle, elle ne dort pas la nuit car quelle que soit l’heure, ses artères principales sont piétinées par des gens qui ne s’y arrêtent jamais vraiment, se contentant de saisir au passage un snack, un sandwich, un hamburger, non pas pour manger réellement mais pour combler un trou d’estomac, vite, en marchant ou sur le coin d’une table. Hors de ses rues hyperactives, de jour comme de nuit, ses autres artères sont mortes, et les égarés qu’on y croise y sont aussi pressés qu’ailleurs. Auckland bouge beaucoup pour camoufler le vide. Ses banlieues sages se perdent à l’infini dans un calme sommeil sans rêve.
Wellington, au contraire, est petite et frustrée, elle ne s’est pas éparpillée, contrainte par la nature qui l’entoure. Les tremblements de terre qui déchirent régulièrement son épiderme rappellent à ses habitants les battements chaotiques de ce cœur contrarié. Presque en permanence, les vents terribles qui s’engouffrent entre les deux moitiés du pays balayent ses rues, obligent les passants à courber l’échine. La ville vous teste, jauge si vous pouvez supporter ses incessantes sautes d’humeurs météorologiques. La nuit, ses multiples bars et restaurants s’animent, sa population hétéroclite vient s’y abriter, savourer d’avoir bravé ses fureurs un jour de plus. Comme Auckland, Wellington est moderne et jeune, mais avec malice, elle a confié à sa grande sœur de nombreux buildings abritant de tristes compagnies de brassage d’argent. Elle a gardé pour elle l’essentiel des institutions politiques du pays, les ambassades, les musées, les boutiques et les cafés. Elle a ouvert son centre sur le port, cette porte sur l’Île du Sud, sur la mer qui la vivifie et lui donne son souffle. Pendant la journée, nombreux sont ceux qui viennent se promener sur cette vaste esplanade piétonne (où chaque semaine le plus grand marché de la ville vient s’installer), côtoyer les bateaux au repos et les mouettes qui se jouent du vent.
Pas de grands espaces verts en son centre où la place est comptée, alors si la nature vous manque, quelques enjambées vous mèneront sur les flans boisés du Mont Victoria. Après une courte mais éprouvante ascension, un panorama saisissant sur la capitale se dessine. La perspective s’ouvre sur l’horizon, et les ferrys ou voiliers qui s’échappent du port, prêts à braver les flots souvent tourmentés, appellent à poursuivre le voyage, rappellent que l’aventure vous attend de l’autre côté du détroit. L’Île du Sud, qui n’abrite même pas le quart des habitants du pays pour une superficie supérieure d’un tiers à sa sœur du nord, aux reliefs tourmentés, aux multiples visages, à la nature bride lâchée, à la palette infinie des verts et des bleus.
Alors, quand il m’a semblé que j’avais suffisamment arpenté les rues de cette ville charnière, je suis monté à bord de l’un ces traits d’unions flottants, pour répondre à l’appel.