NZ 4 : Erratiques éradications

Qu’est-ce qui fait le plus peur : regarder pour savoir ce qu’il y a sous le lit, ou ne pas regarder mais ne pas savoir ? Le dilemme de la petite enfance remis au goût du jour. Qui sait ce que tu découvriras si tu regardes, mais si tu préfères fermer les yeux sous les couvertures, la bride à l’imagination est lachée et elle fera naître des créatures pires encore.

Le mieux, c’est donc quand même de regarder, et pour regarder mieux vaut y voir clair, et ça tombe bien : le matin a fini par arriver, disais-je. Il faut bien avouer que découvrir la baraque sous le soleil était déjà beaucoup moins inquiétant. Il était temps d’agir.
J’ai commencé par questionner avec tact le couple d’agriculteurs sur les bestioles qui peuplent les lieux, en particulier les blattes-cafards. « Ah oui, c’est des bush bugs, faut les écraser ». Bon, ok, merci pour ce précieux conseil, l’idée ne me serait pas venue tout seul. Je n’ai pas parlé des souris, n’ayant pas encore attesté leur présence dans la place. Pour les araignées, j’ai demandé si je pouvais avoir un aspirateur, et j’ai pu.

Très puissant, me dit sa maîtresse. Effectivement, c’est une tornade ambulante, mais qui ambule avec des béquilles. Il a le souffle olympique d’un grand-père tuberculeux, et je dois insister deux bonnes minutes sur la toile d’araignée massive qui surplombe mon lit pour l’aspirer complètement. Le pauvre petit n’est même pas capable de tenir sur ses roulettes, quand je me retourne triomphant pour le féliciter après tant d’efforts pour ingurgiter l’arachnide, il gît maladivement les pattes en l’air, comme une tortue sclérosée retournée sur sa carapace.

Peu m’importe à vrai dire, à cette instant chaque centimètre carré passé au crible hésitant de l’aspirateur est une victoire intérieure. Maintenant je sais que, pour quelques heures au moins, je peux poser le pied sur cette surface et la considérer, avec une largesse très généreuse, comme propre. Je n’ai jamais été un maniaque du ménage, mais là, c’est cathartique. Tornado mon ami, toi et moi on va faire de grandes choses.

Mes suspicions sur la présence des souris se sont assez vite renforcées quand j’ai constaté que les blattes-cafards écrasées et laissées sur le sol avaient tendance à disparaître comme par magie. À moins que la blatte-cafard néo-zélandaise possède un pouvoir de résurrection qui m’est inconnu (et qui, bien franchement, me ferait chier un tantinet), j’ai assez vite considéré l’option de la chaîne alimentaire domestique. Et de fait, je n’ai pas attendu longtemps avant de voir une souris pointer le bout de son nez. Ma première rencontre fut furtive mais suffisante pour m’assurer qu’elles étaient bien dans la place. La seconde m’a laissé davantage le temps d’admirer un spécimen : le deuxième matin, j’ai entendu comme un petit tic tic dans la cuisine. Un pichet avec un fond d’huile d’olive y avait été entreposé, pour que les fameux « bush bugs » viennent s’y noyer. Grosse prise, donc, ce matin, puisqu’une souris barbote piteusement dans le potage huileux. Bon, que faire. L’animal est coincé au fond du pichet et les parois trop glissantes l’empêchent de sortir. J’imagine qu’elle a lutté une bonne partie de la nuit, elle a l’air plutôt résignée. Je sors l’appareil photo, prends quelques clichés souvenirs, et puis je me dis que si, dans un sursaut d’énergie soudain elle parvenait à s’échapper et à courir à travers la pièce, dégoulinante d’huile, et à se planquer sous un meuble, j’aurais vraiment l’air d’un con. Je décide donc de rendre sa liberté à l’infortunée, puisqu’au final elle est sans doute plus traumatisée que moi. Je me dis que je devrais la libérer loin de la maison, et puis l’idée qu’il y en a sans doute une bonne pelletée dans les parages me fait dire que ça ne changera sans doute pas grand chose si je me contente d’une petite dizaine de mètres. Elle est allée se planquer mollement sous une touffe d’herbe, dégoulinante d’huile, et je me suis dit que si elle devait faire la proie d’un prédateur, elle serait drôlement bien assaisonnée.

J’ai prévenu les proprios, qui ont été moyennement surpris mais ont pris des mesures, mort-aux-rats dans les zones sensibles, et colmatage des coins potentiellement susceptibles de laisser passer des rongeurs. Efficacité mitigée, à ce jour elles continuent de temps à autre à se faufiler en douce, et quand j’ai le dos tourné je les entends ourdir des complots contre mes céréales. Au départ, j’ai cru que quand l’échalat pas là, les souris dansent, même pas : un matin que je lisais, assis à la table, j’en ai vu une se balader tranquillement sur tout le plan de travail de la cuisine (avec inspection détaillée et intéressée du grille-pain), trottiner joyeusement sous la platine CD qui marche pas, descendre derrière le canapé (car oui, il y a un canapé. J’ai pas encore osé m’asseoir dessus) et échouer lamentablement dans un sac plastique qui trainaît au sol. S’étant prise au piège toute seule, j’ai pu extraire du bâtiment ma deuxième collocatrice indésirable. Depuis, c’est plutôt calme : jusqu’à la prochaine ?

Le problème des araignées et des rongeurs étant ainsi vaguement écarté, restaient les blattes-cafards. Et là, je coince un peu. Elles doivent s’infiltrer par les trop nombreux interstices de l’habitation, et à moins de décontaminer la campagne entière je ne vois pas grand chose à faire. J’ai pris l’habitude de passer en revue d’un coup d’œil global l’ensemble de l’appartement avant d’y rentrer le soir. Les bestioles n’aiment pas la lumière et vont assez vite se planquer quand tout est allumé. Je l’utilise à mon avantage et laisse même les plus éloignées de mon balai destructeur se planquer dans les recoins sombres. Ce n’est pas spécialement ragoutant de savoir ces insectes dans les parages, mais j’ai pris l’habitude de dormir la lumière allumée, je sais ainsi qu’a priori il y a peu de chances qu’elles viennent ramper sur moi.
Depuis qu’chuis p’tit, j’l’ai bien compris : si tu laisses la lumière allumée, les monstres viennent pas te manger.