NZ 3 : Invasions barbares

J’ai trouvé un boulot par le biais du site WWOOF (qui propose de travailler gratuitement dans des fermes du monde entier, en échange du gîte et couvert), dans la région de Whangarei, au nord d’Auckland. L’endroit m’intéressait pour plusieurs raisons : sa proximité avec Auckland, ce qui m’évitait de trop importants frais de transport et me permettait de voir un peu cette région pendant que j’étais dans les parages, et aussi parce que fin avril début mai en Nouvelle-Zélande, c’est l’automne, et plus on est au nord, plus les températures restent douces longtemps (et les hivers sont eux aussi plus cléments). Sachant que vous, bande d’enfoirés de l’hémisphère nord, vous vous dirigez vers l’été, je tenais à donner le change encore un peu.

Deux semaines après mon arrivée dans le pays, j’ai donc quitté Auckland sans regret ; la vie y est assez chouette, mais je commençais à avoir fait le tour de la ville (certes, très partialement, très partiellement, mais le tour quand même). Un couple d’agriculteurs qui produisent leur propre huile d’olive et pas mal de produits cosmétiques artisanaux dérivés de cette huile profitent de leur passage sur Auckland pour m’embarquer et m’accueillir chez eux. Ils cherchent deux wwoofers, mais pour l’heure je suis tout seul. J’ai ma propre petite baraque à 100m de la leur.

Il y a eu ce geste. Désinvolte, naturel. On venait de finir de dîner, dans leur maison, et je m’apprêtais à aller découvrir ma résidence. Elle m’a dit que je-sais-plus-qui de sa famille avait dormi là, et elle allait changer les draps, et elle a pris les draps propres dans son placard. Et elle les a jetés par terre. Désinvolte, naturel. Même pas « oh zut, bon, c’est pas grave, je les ramasse », non, tout simplement « j’ai les mains pleines, je vais les mettre là le temps de fermer le placard ». Là, donc par terre. Normal.

Visite de mon home sweet home. Ustensiles sale dans l’évier : apparemment ils utilisent l’endroit pour faire leur tambouille de transformation de l’huile d’olive. Moi, bon prince, encore naïf, la voyant s’approcher du coin cuisine : « Oh non mais laissez pas de problème, je laverai ». Mon regard se promène dans la pièce. On pourrait tourner autour du pot mais disons les choses simplement : partout, uniformément, c’est sale. Poussière, un peu. Crasse, beaucoup. Brindilles au sol, insectes morts près des fenêtres. Après avoir fait mon lit, elle me laisse seul, et j’explore plus en détails. La chasse-d’eau, dans la salle de bain, n’a pas été tirée. Depuis quand ? Dans le frigo, ça pue le vinaigre à plein nez. Sur le frigo, et un peu partout, dans les coin, des petites choses qu’il me semble reconnaître… Mais après tout, ça peut être plein de choses, ça peut être plein de choses. Bon OK ce sont des crottes de souris.

Jusque là, l’inquiétudomètre tanguait doucement dans la moyenne. Après tout, les crottes de souris sont peut-être là depuis des mois, depuis y’a plus de souris, voilà z’ont pas fait le ménage on va pas en faire tout un foin. D’accord, tous les ustensiles des placards donnent plus envie d’être relavés qu’utilisés, mais bon, n’en faisons pas un drame. Même si bon, crottes de souris, quand même.

Et sur ce, je défais mon sac à dos qui avait été transporté dans le truck de l’agriculteur. Une bestiole se présente alors dans un recoin du sac. Pas une souris, non. Un insecte. Peu affable, une sorte de blatte-cafard, qu’est-ce que j’en sais moi, dans toutes les bestioles endémiques qu’ils ont ici. A priori, malgré le fait que ça soit notre première rencontre et sans préjugé raciste de ma part, j’aime pas trop les blattes-cafards. La sérieuse montée d’inquiétudomètre un peu calmée, j’essaie de négocier l’animal qui ne bronche pas tellement. La salle bête a dû se glisser là dans le camion. Après quelques manœuvres prudentes, je parviens à occire l’intrus. 3 ou 4 centimètres sans les antennes, il est pas beau, enfin surtout maintenant, tout écrasé, pourtant il est ainsi à mes yeux beaucoup plus sympathique. Et je me rends dans la salle de bain. Où je découvre une, deux, puis trois blattes-cafards qui se baladent et que je dégomme. A chaque coup de pied sur les envahisseurs, l’inquiétudomètre montre d’un cran, bientôt il n’y a plus assez de cran et le paniquomètre prend le relais. L’endroit grouille de ces saloperies, me dis-je et me voyant déjà dévoré par les blattes-cafards. J’en découvre un dans les placards. Je flippe. Mais la fête ne fait que commencer. Je découvre au dessus de mon lit un énorme mouton sale : un amas de toiles d’araignée, de celles laissées par les grosses noires à longues pattes qu’on a aussi chez nous. D’ailleurs, l’araignée est dedans. Je douple-flippe. Il y a des vieilles mues d’araignée qui pendouillent. Et puis je regarde mes mains, qui me grattent. Deux petits points noirs. J’ai des puces sur ma main. Je vois déjà l’endroit infesté de puces, pour compléter la ménagerie, et surtout je crois déjà les sentir partout sur moi. Je triple-flippe double axel. OK, il est onze heures du soir, il fait nuit, je suis dans un coin paumé à la campagne, au nord de la Nouvelle-Zélande, et je dois dormir dans une chambre infestée par toutes les saloperies animalières de la Création. La question est : comment je me casse ?

Au bout de quelques minutes, j’essaie de rassembler mes esprits. Je m’inspecte en détail, non, pas d’autres puces ailleurs, ok, j’ai dû les choper en caressant le chien. Restons calme. OK, j’ai vu cinq blattes-cafards, mais pas dix, pas cent. Et là, j’en vois plus, pour l’instant. J’ai vu des crottes de souris, mais pas de souris. J’ai vu une grosse araignée dans ce coin, et des petites au plafond. Mais ailleurs ça a l’air à peu près ok.

Je ne suis pas trop arachnophobe, je ne suis pas trop sourissophobe, je suis un peu blattecafarophobe, mais j’ai pas trop eu le temps de m’habituer. Le tout combiné atteint quand même un score honorable sur mon seuil de tolérance. J’ai mis mon sac au centre de la pièce, éloigné au maximum de tous les recoins louches. J’ai sorti le strict minimum, j’ai refermé toutes les fermetures. J’ai placé mon petit sac à dos sur la table, lui aussi zippé de près, et j’ai perché les quelques fringues sorties sur la chaise qui me semblait la plus digne de ce nom. Je n’ai pas osé déranger la grosse araignée de son recoin, à deux mètres au dessus de mon lit, de peur de la rater et qu’elle file ailleurs, hors de ma vue.

J’ai dormi la lumière allumée, sur le rebord du lit, par brèves séquences ponctuées de rêves bizarres dont je me souviens peu, mais il y avait dedans de répugnants insectes. Et je crois qu’au bout d’un certain temps, le matin a fini par arriver.