Sothavonesha #1
Il fallait frapper fort. D’entrée. Dire un peu qui on est à la face dédaigneuse de ce monde corrompu. Pour ce premier sothavonesha, et en l’honneur de la journée de la femme même que c’était avant-hier mais tant pis, voici donc une furieuse attaque de choucroute au piment.
Vous ne comprenez pas le concept du sothavonesha ? Lisez prestement cette page.
« La musique est pleine de grands noms, mais également de petits qui, tous ensemble, forment une grande famille. »
Derrière cette phrase digne d’un discours de ministre de la culture inspiré, il faut lire une ode mesquine à tous les ratés du quatrième art. Ceux qui, n’ayant pas su se faire diffuser sur NRJ, pleurent à chaudes larmes leur échec social, et finissent par faire des approximations de concerts devant leurs potes avinés un samedi soir, en province. Ode mesquine disais-je puisqu’il s’agit là de juxtaposer petits et grands dans une phrase pour bien faire comprendre que les petits, finalement, ils sont pas si loin des grands. Ce qui est bien sûr profondément faux, chacun sait bien que Stupeflip n’a pas le talent de U2.
Bref, tout ça pour dire qu’aujourd’hui et depuis des millénaires, si t’es pas connu, t’es qu’une merde, et tu fais de la merde. Et pourtant, pourtant. Oui, pourtant, aujourd’hui, j’ai su trouver un titre ignoré de tous d’un groupe qui l’est tout autant, et qui est bon. Non attendez, je dis bon, en fait c’est même excellent. Voire exceptionnel. Et même, je crois que l’on peut dire que c’est la meilleure chanson de tous les temps. Et de l’univers. Et je suis très sérieux.
C’est d’autant plus fou qu’il s’agit d’une vieille chanson (beuurk) d’un groupe de filles (re-beuurk). Qui, en bon groupe raté qu’elles étaient, n’ont enregistré qu’une poignée de titres avant de retourner au néant d’où elles venaient. Mais diantre. Fichtre. Foutredieu. Parmi ces quelques titres, le diamant brut, la perle rare.
C’est une chanson animale. Une chaleur qui vient des entrailles, un « cri qui vient de l’intérieur », comme dirait Bernard. Un cri primitif, brut, agressif. Fou. Un hymne sauvage pourtant sorti de corps corsetés, de visages ronds surmontés d’une chevelure soigneusement domptée en choucroute, comme le dictait la mode de l’époque.
Comment ? Comment a t-on pu laisser passer ça ? Qui est l’idiot qui, en entendant ça à l’époque, ne s’est pas dit qu’il fallait aussitôt ériger un mausolée à ces déesses, n’a pas cru bon d’abandonner sa vie paresseuse et rangée pour arracher ses vêtements et aller danser jusqu’à ce que mort s’ensuive ?
Ce titre est une goutte d’acide. Corrosif, qui vous rongera jusqu’au noyau ; mais une goutte, une minuscule goutte. Un tout petit morceau avorton de même pas deux minutes et trente secondes. C’est joli, une goutte, c’est tout rond (contrairement à la représentation commune) et c’est brillant. Ce morceau l’est, il brille dans un emballage pop d’apparence classique, mais ne vous y trompez pas. Approchez, et vous verrez que son âme est furie.
En dépit des conventions, des codes, de la tentation pressante de polir tous ces éclats pour les mouler dans un cadre plus respectable, trois filles bien comme il faut, en 1963, ont enterré le punk avant même qu’il ne vienne au monde, ont surclassé la pop avant son plein flamboiement, ont fait naître la fièvre du samedi soir avant le règne des stroboscopes.
Essayer de comprendre, d’analyser cette violence magnifique, c’est déjà dénaturer l’œuvre. D’ailleurs il n’y a rien à comprendre, et tout à ressentir. Les filles ont dynamité les mots et les phrases, ces entraves liberticides, en les encerclant de sons, gimmicks et autres onomatopées. Feulements suaves et rugissements damnés. Hurlements magnifiques et danse libératrice. Orgasme sabbatique et transe extatique. Des Amazones à tailleur étroit à la conquête du monde. On aurait eu ça sous l’Antiquité, on faisait tomber l’empire d’Alexandre :
Bien sûr si vous trouvez que ce morceau est sympa, rigolo, bof, sans plus, ouais je m’attendais à mieux, vous n’avez rien compris à la vie et vous n’êtes plus mon copain.