NZ 18 : L’Écosse des antipodes

Dunedin, cette ville que je prononce mal une fois sur deux. C’est pas « Dunedine », c’est « Deniden ». Que je ne vous attrape pas à mal le prononcer dans votre tête en lisant cet article.
L’origine de la ville est cachée derrière ce nom : fondée en 1848 par les Écossais, Dunedin ne signifie rien d’autre qu’Edinburgh (Édimbourg) en gaélique écossais.
Dunedin, donc (qui s’est déjà planté sur la prononciation et sera collé samedi ?), est ma nouvelle destination. J’y retrouve trois potes français rencontré à Queenstown. L’auberge qu’ils ont choisi est également perchée sur les hauteurs de la ville mais n’a rien d’extraordinaire, le proprio n’en a plus grand chose à faire puisqu’il vend l’endroit mi février. Mais tout est très correct, et puis surtout Internet y est gratuit, illimité et sans restriction d’aucune sorte : une grande première dans tout mon séjour en Nouvelle-Zélande.
Côté météo, c’est pas la joie. Franchement pas chaud pour un mois de janvier néo-zélandais et les nuages et la pluie s’invitent régulièrement. Mais tout peut changer très vite et nous profitons de la moindre éclaircie pour tenter une sortie. L’une d’elle nous porte jusqu’à la rue la plus pentue du monde, avec l’approbation du Livre des Records, s’il-vous-plaît. Je crois surtout que personne ne s’est franchement emmerdé à vérifier et n’a encore eu l’idée saugrenue de suggérer le contraire. Quoi qu’il en soit, la grimpette est plutôt rude et a de quoi de vous laisser quelque peu haletant au sommet.

Baldwin Street

La ville a du charme, pas de quoi tomber à la renverse non plus mais c’est sans doute une des plus chouettes de Nouvelle-Zélande. La place octogonale qui en est le centre devient le soir le lieu de rassemblement des étudiants de la ville. Dunedin en compte beaucoup (l’Université d’Otago est la plus réputée du pays) mais à cette période de l’année, les vacances scolaires réduisent de beaucoup la fréquentation des rues et bars.
L’un de mes potes a trouvé du travail dans le bâtiment, ça a l’air particulièrement physique : avec le ramassage des fruits, un autre genre de boulot pas forcément fascinant mais assez facile à dégoter quand on est de passage pour seulement quelques semaines ou quelques mois. Nous, les trois chômeurs de la bande, allons essayer de faire un petit tour dans les Catlins, la région plutôt sauvage intercalée entre Dunedin et Invercargill, la ville la plus au sud de l’île.
Mais à part le monde sauvage, il n’y a vraiment pas grand monde dans ce coin reculé de Nouvelle-Zélande. La voiture reste donc définitivement le moyen de transport préconisé pour pouvoir s’arrêter où l’on souhaite et découvrir les secrets du lieu. Aucun de nous ne possédant de véhicule, nous décidons d’en louer un pour quelques jours. Reste à trouver un créneau météorologique favorable et nous nous lançons. Les clés de notre petite bagnole empochée, nous quittons les tourments climatiques de Dunedin en espérant qu’ils ne nous poursuivrons pas là où, si l’on ne peut pas être dehors, il n’y a pas grand chose à faire dedans.

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Et nous sommes plutôt vernis, puisqu’à l’exception d’une matinée couverte, le soleil nous accompagnera partout durant les trois jours que durera notre exploration des Catlins. On m’avait plusieurs fois recommandé de m’y aventurer, et il faut avouer qu’une fois de plus en Nouvelle-Zélande, pour ce qui est des paysages à couper le souffle, je ne suis pas déçu. La région, essentiellement recouverte de forêt, est également dotée de très belles zones côtières, plages ou falaises rocheuses, qui valent plus que le coup d’œil.

Notre première nuit se passera dans un petit backpacker tenu par un couple de Français. L’endroit est à deux minutes d’une grande plage où de nombreux lions de mers viennent quotidiennement paresser. Après une première journée d’exploration de la région, nous décidons donc d’aller rendre visite à ces curieux résidents. Je sais, j’ai eu une vie pauvre en expériences : je n’ai jamais rencontré de lions de mer de près jusqu’à présent, alors avant tout malentendu sur la nature de nos relations, je m’informe auprès de la proprio sur les impairs à ne pas commettre en présence de ces gros tas de viande et de gras de plusieurs centaines de kilos. A priori, il n’y a pas grand risque, le lion de mer est plutôt apathique de nature, et on peut l’approcher à quelques mètres sans crainte. S’il lui prend de s’énerver un peu de notre présence, on nous conseille quand même de courir : l’animal se fatiguera après quelques dizaines de centimètres d’une folle poursuite.

Sea lion

Les faits semblent lui donner raison. Après plusieurs centaines de mètres à déambuler sur cette jolie plage quasi déserte, nous apercevons un premier lion nautique. Abrité du vent derrière une petite dune, monsieur sommeille paisiblement en compagnie de ce qui semble être deux demoiselles, tout aussi affairées à ne rien faire. Nous nous approchons prudemment pour quelques clichés, avant de poursuivre notre route. Une seconde rencontre avec un autre mâle solitaire nous donne l’occasion d’observer la bête dans un état à peine moins comateux. L’impressionnante bestiole semble à peine dérangée par notre présence et se décide à bailler après avoir rassemblé ses forces. S’il l’on était suffisamment con, on se tenterait presque à toucher cette grosse boule de fourrure pataude, mais bon, le colosse, sous ses airs somnolents, n’est peut-être pas près à ce point à concéder un rapprochement inter-espèces. Nous restons donc à quelques mètres et ne dérangeons pas davantage l’individu. D’autres femelles, et puis tout un groupe un peu plus actif, nous attendent au bout de la plage. Ça a l’air de se chamailler un peu, et malgré leur look de saucisses géantes à pattes, on devine la force de ces mammifères marins. Nous décidons finalement de rebrousser chemin avant que le ciel menaçant ne nous attaque par surprise.

Purakaunui Falls

Les deux journées qui suivent nous voient sillonner des routes de cailloux et de poussière qui mènent à de multiples lieux d’émerveillements. Une grande grotte le long d’une plage porte le nom de Cathedral Cave. Bon, c’est une grande grotte le long d’une plage. Les cinq dollars par personne qu’il faut payer pour y accéder et le ciel gris n’aident pas franchement à réellement trouver la visite renversante. Quelques haltes à différents endroits sur la route pour aller admirer des cascades plutôt saisissantes. Nous manquerons cependant les ironiques « Niagara Falls », ridiculement petites. Plus fascinants, les panoramas qui se dévoilent sur différents promontoires dominant l’océan. J’imagine que certains endroits ont dû nostalgiquement rappeler aux Écossais fondateurs leur terre natale.

Curio Bay

À Slope Point, vous êtes au point le plus au sud de l’Île du Sud. Devant vous, quelque part, Stewart Island, dernière terre d’importance dans ces eaux de plus en plus fraîches qui finiront, là-bas, loin devant, par donner corps aux immensités blanches de l’Antarctique.

Slope Point

Outre les lions de mers, d’autres représentants de la faune locale peuvent être observés à différents endroits. Parmi les raretés, les pingouins aux yeux jaunes (mauvaise traduction de yellow-eyed penguins, leur véritable nom français est manchot antipode, ou manchot à œil jaune). C’est l’espèce de manchots les plus rares au monde, uniquement trouvable dans ce coin de Nouvelle-Zélande. Le nom ne tient pas qu’à la coloration des yeux : un bandeau de plumes de même couleur barre leur tête, masque de Zorro franchement délavé pour un cavalier surgi du grand bouillon de l’océan. Il n’est pas toujours aisé d’apercevoir les volatiles (peu volatiles, d’ailleurs), notre première mission pingouins nous a vu rentrer bredouille. Mais le lendemain de notre première tentative, sur une autre plage et après un peu d’attente, un premier individu se pointe au loin sur la plage. Il est défendu d’approcher et une cordelette posée au sol marque symboliquement la limite à ne pas franchir. Heureusement pour nous, un autre groupe fait son apparition, à quelques mètres seulement de la ligne. Quelques adultes, accompagnés de leur progéniture. Si les parents ont revêtu leur habit d’apparat, les mioches traînent encore leur pyjama de duvet marronnasse manquant franchement de classe. Ils passent leur temps à piailler dans les oreilles de leurs géniteurs afin que ceux-ci remplissent leur insatiable estomac. Papa (ou maman, je ne saurais dire) a l’air de n’en avoir rien à carrer et laisse le marmot brailler dans son dos avec indifférence et peut-être un soupçon de lassitude bien compréhensible.

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La veille de notre départ, de retour pour une nuit dans l’auberge aux lions de mers, nous décidons de profiter des kayaks que les propriétaires mettent gracieusement à disposition des résidents. Nous partons donc faire un tour en mer et prenons place dans nos esquifs respectifs. Après une grosse averse, le ciel s’est dévoilé et le soleil de cette fin d’après-midi nous accompagne dans notre folle épopée. Il y a très peu de fond à certains endroits pourtant situés à bonne distance du rivage. Je saute de mon kayak, pardon, j’essaie de ne pas chavirer en m’en extirpant et me tiens là, debout au milieu de la mer, avec de l’eau aux genoux. Jésus peut enfin reposer en paix : j’arrive. Le retour à terre dissipe hélas quelque peu mes rêves messianiques et comme mes camarades, je constate une humidité généralisée dans l’habitacle et les passagers n’ont pas été épargnés. Le soleil décline, mais quitte à être trempé, autant ne pas faire les choses à moitié. J’abandonne mon t-shirt sur la rive et m’avance vers ce qui s’avère être ma première baignade dans les eaux néo-zélandaises. Nous sommes en été mais cela ne se ressent que modérément : sous ces latitudes et après un ensoleillement plus que limité, ça caille sévère. Je barbote quelques temps, pas que j’aie fondamentalement l’irrépressible envie de m’éterniser mais il s’agit avant tout d’impressionner mes camarades par mon aisance dans l’élément liquide et ma musculature hors-du-commun. Après quelques quinze minutes de barbotage dans un mètre de fond et le départ d’un public décidément trop inexpert pour apprécier mes exploits sportifs, je m’échoue sur un caillou. Les rayons du jour se font plus horizontaux et quand un nuage vient à les masquer, je suis pris de tremblements décidément inexplicables. Il est temps d’arrêter de fanfaronner et de rentrer au bercail. La douche chaude me sauve de la congélation et qu’importe finalement l’avis du public : je suis allé me baigner à l’extrémité du monde.

Surat Bay

Nous regagnons Dunedin le lendemain et ramenons notre carrosse décrassé à l’agence de location. Malgré les routes caillouteuses qui nous ont parfois fait craindre un incident, à notre soulagement et celui de nos porte-monnaie, notre navire retourne à bon port sans dégradation à déplorer. Les jours qui suivent notre retour semblent confirmer une amélioration plus durable des conditions climatiques. Profitant d’une très belle journée, je décide d’aller voir les locaux de l’université ; une petite image de la tour d’horloge sur mon guide de touriste me laisse à penser que le bâtiment vaut le coup d’œil.

University of Otago

Après quelques déambulations hasardeuses, je découvre l’endroit : joli, en effet. Je flâne sur les pelouses où seuls quelques étudiants studieux, le nez dans des livres, sacrifient à leurs vacances pour prendre de l’avance ou rattraper du retard.
Parmi eux, un visage me semble familier. Je lance un prénom, pour voir. Ça mord : il lève le nez et m’interpelle, plutôt surpris de me retrouver ici. Il s’agit d’un jeune Néo-Zélandais avec qui j’ai travaillé quelques temps dans mes champs de pommiers, près de Nelson. Curieuse coïncidence de nous revoir ici (ce n’est pas la première fois que des retrouvailles imprévues se présentent à moi, la Nouvelle-Zélande est peu peuplée et le hasard vous fait retrouver des têtes connues bien plus souvent que je ne le croyais possible). Nous discutons de nos routes respectives depuis notre dernière rencontre, et en venons à parler de ce qui l’amène à plancher ici plutôt que sur une vague. Il me dit combler quelques lacunes et préparer la prochaine rentrée. Il ajoute qu’il va suivre une conférence d’ici quelques minutes. L’occasion est trop belle pour ne pas céder à la tentation de revêtir à nouveau pour quelques temps mes habits d’étudiant, je l’interroge et il me confirme qu’il m’est tout à fait possible de m’incruster dans la place.
Je l’accompagne dans les locaux dont il me fait au passage une rapide visite (impressionnante bibliothèque) et nous allons nous installer sur des chaises dans le petit hall où auront lieux les débats sur le thème « A general theory about love ». L’amour, un sujet d’étude étonnamment délaissé et pourtant complexe, omniprésent, atemporel, dixit le monsieur qui présente le truc. Les discussions ébauchent des pistes plutôt intéressantes mais restent superficielles, qu’importe, je prends studieusement des notes et je n’aurais pas cru retrouver autant d’intérêt à retourner sur les bancs de la fac. Il faut dire que la conférence est quand même plus qu’informelle, que le public est clairsemé mais intéressé, et que le buffet en libre service avec café, thé, gâteaux et mini sandwichs rend la chose plutôt agréable.
En retournant à l’auberge ce soir là, j’avais l’impression de me retrouver dans la peau de l’élève rentrant chez lui, le sac à dos sur les épaules. Sauf que je ne suis plus étudiant et surtout pas dans cette université, que je ne suis pas franchement au travail et que je n’ai pas totalement l’impression d’être en vacances non plus. Et que je suis à l’autre bout du monde.

Le dernier événement marquant de mon séjour à Dunedin sera la célébration du nouvel an chinois deux jours plus tard, le 31 du mois. Une parade part de l’Octagon, la place centrale de la ville et défile ensuite à travers les rues. Nous suivons le cortège en prenant des photos des participants et de quelques pandas, sans doute échappés du zoo local.

Chinese New Year

La marche se termine au jardin chinois de Dunedin, devant lequel des représentations de danses plus ou moins traditionnelles prennent place. À la nuit tombée, janvier se termine pour moi comme il avait commencé : par un feu d’artifices.